Marc Lescarbot (1570-1642) est un avocat né à Vervins, dans le Nord de la France. Invité à se joindre par Poutrincourt à la deuxième expédition du Sieur de Monts en Acadie, il débarquera en Nouvelle-France en 1606 pour y rester un an. À son retour en France, il prendra deux ans à rédiger son Histoire de la Nouvelle-France (un récit de voyage et ethnographique). Typique à la Renaissance, on y retrouve un petit recueil de poèmes intitulé Les Muses de la Nouvelle-France.


Le poème choisi provient de l'anthologie de La Poésie québécoise de Laurent Mailhot et Pierre Nepveu.


A-DIEU À LA NOUVELLE-FRANCE

(...)

Seulement prés de toy en cette saison dure

La Palourde, la Coque, et la Moule demeure

Pour sustenter celui qui n'aura de saison

(Ou pauvre, ou paresseux) fait aucune moisson,

Tel que ce peuple ici qui n'a cure de chasse

Iusqu'à ce que la faim le contraigne et pourchasse,

Et le temps n'est toujours favorable au chasseur.

Qui ne souhaite point d'un beau temps la douceur,

Mais une forte glace, ou des neges profondes,

Quand le Sauvage veut tirer du fond des ondes

L'industrieux Castor (qui sa maison batit

Sur la rive d'un lac, où il dresse son lict

Vouté d'une façon aux hommes incroyable,

Et plus que noz palais mille fois admirable,

Y laissent vers le lac un conduit seulement

Pour s'aller égayer souz l'humide element)

Ou quand il veut quéter parmi le bois le gite

Soit du Royal Ellan, soit du Cerf au pié-vite,

Du Lapin, du Renart, du Caribou, de l'Ours,

De l'Ecurieu, du Loutre à la peau-de-velours

Du porc-epic, du Chat qu'on appelle sauvage,

(Mais qui du Leopart a plustot le corsage)

De la Martre au doux poil dont se vétent les Rois,

Ou du Rat porte-musc, tous hôtes de ces bois,

Ou de cet animal qui tout chargé de graisse

De hautement grimper a la subtile addresse,

Sur un arbre élevé sa loge batissant

Pour decevoir celui qui le va pourchassant,

Et vit par cette ruse en meilleure asseurance

Ne craignant (ce lui semble) aucune violence,

Nibachés est son nom. Non que sur le printemps

Il n'ait à cette chasse aussi son passe-temps,

Mais alors du poisson la peche est plus certaine.

 

(...)

 

Ie vous laisse bien loin, pepinieres de Mines

Que les rochers massifs logent dedans leurs veines,

Mines d'airain, de fer, et d'acier, et d'argent,

Et de charbon pierreux, pour salüer la gent

Qui cultive à la main la terre Armouchiquoise.

Ie te salüe donc nation porte-noise

(Car tu as envers nous forfait par trahison)

Pour te dire qu'un jour nous aurons la raison

Avecque plus d'effect de ton outrecuidance,

Si qu'entre nous sera maudite ta semence.

Mais ta terre je veux saluer en tout bien

Quand elle sentira du François la culture.

Car en elle desja la provide Nature

A le raisin semé si plantureusement,

Et en telle beauté, que Bacchus mêmement

Ne sçauroit invoqué lui faire davantage.

Mais son peuple ignorant ne sçait du fruit l'usage.

Terre, tu as encor de féves et de blés

Tes greniers soux-terrains en la moisson comblés.

Mais quoy que de tes biens tu donnes abondance

Produisant d'autres fruits sans l'humaine assistance

Tels qu'avons veu la Chanve et la Courge et la Noix,

Tes féves tu ne veux, ni tes blez toutefois

Produire sans travail, mais ta grand' populace

D'un bois coupant te brise, et en mottes t'amasse

Pour (sur le renouveau) sa semence y planter.

 

(...)

 

(Les Muses de la Nouvelle-France)

 

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